LA RUPTURE DU MANDAT DE L’AGENT COMMERCIAL (1/3) : Le mécanisme légal d’indemnisation et ses exceptions

Les agents commerciaux sont des acteurs économiques importants du commerce national et international de notre pays qui compte environ 30.000 agences commerciales. Ces intermédiaires du commerce sont des mandataires indépendants qui sont chargés de façon permanente de négocier et éventuellement conclure au nom et pour le compte de leur mandant des contrats de vente, d’achats ou de prestations de services.

Le mandat qui les unit à leur commettant est un mandat d’intérêt commun, au travers duquel mandants et mandataires unissent leurs efforts pour développer une clientèle commune afin d’en partager les frais. En effet, la mission de l’agent commercial s’analyse fondamentalement comme l’entretien et le développement d’une part de marché pour le compte de son mandant, en vue de la diffusion de ses produits ou services. En contrepartie de cette tâche exécutée aux seuls frais de l’agent, ce dernier est rémunéré par des commissions sur le chiffre d’affaires réalisé et dont le montant est en définitive proportionnel à l’efficacité de son travail.

Il est d’usage de considérer qu’il faut au moins deux ans à l’agent commercial pour développer un flux d’affaires suffisant pour amortir ses investissements et commencer à percevoir une rémunération continue. Si les efforts de l’agent sont ainsi couronnés de succès, son mandat revêt alors pour lui une véritable valeur patrimoniale puisqu’il lui procure une rémunération récurrente et qu’il est cessible à un successeur à un prix que les usages fixent généralement à deux ans de commissions.

La rupture de son contrat lui cause donc un préjudice d’une particulière gravité puisqu’il perd, du jour au lendemain, le droit de vendre les produits et services du mandant à la clientèle qu’il avait constituée ou entretenue. Il perd également la rémunération potentielle que cette clientèle aurait encore pu lui procurer et la possibilité de vendre son mandat à un successeur. C’est pourquoi, en considération de la gravité de ce préjudice, les usages professionnels et la jurisprudence évaluent généralement l’indemnité de cessation de mandat à deux ans de commissions brutes.

L’importance de ce préjudice a été consacrée par le législateur au travers de la loi du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants, désormais intégrée dans l’article L134 du Code de Commerce. En fait, le législateur laisse le soin au juge du fond d’évaluer le montant de l’indemnité et se borne à édicter le principe général du droit à indemnité (article L134-12 du Code de Commerce) en prévoyant trois exceptions (article L134-13 du Code de Commerce).

Notre étude portera successivement sur le mécanisme légal de l’indemnisation et ses exceptions (I), les circonstances les plus souvent invoquées à l’appui de la rupture (II) et les modalités de l’indemnisation (III).

I – LE MECANISME LEGAL D’INDEMNISATION

A/ Le principe :

 

L’article L134-12 du Code de Commerce qui prévoit l’indemnisation de l’agent est rédigé en termes très généraux, puisqu’il dispose que : « En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice de préjudice subi ;… ».

Cette rédaction constitue une réaction à l’ancien article 3 alinéa 2 du décret du 23 décembre 1958 qui n’envisageait le droit à indemnité que dans l’hypothèse d’une résiliation du contrat par le mandant. Cela posait de multiples difficultés pratiques puisque, comme il le sera expliqué plus loin, il arrive que les mandants ne résilient pas ouvertement le contrat et se mettent en position de rupture en ne respectant pas leurs obligations à l’égard de l’agent. Ce dernier, avant de pouvoir solliciter l’indemnisation, devait préalablement démontrer que son contrat avait été résilié par le mandant.

L’article L134-12 a donc mis un terme à ces difficultés puisque c’est la cessation des relations avec le mandant qui est le fait générateur du droit à indemnité et non plus la résiliation qui était une notion juridique. Par sa généralité, confirmée par les exceptions limitativement énumérées à l’article L134-13, l’article L134-12 du Code de Commerce vise en fait toutes les hypothèses de cessation du contrat qui ouvrent droit à l’indemnité.

Dès lors que le mandant décide de rompre le contrat, l’agent commercial a droit à l’indemnité compensatrice du préjudice subi, à moins que la rupture n’entre dans le cadre des exceptions prévues à l’article L134-13 du Code de Commerce.

B/ Les exceptions :

 

Elles tiennent soit à l’existence d’un accord avec le mandant pour la cession du contrat, soit à des circonstances tenant à la personne de l’agent ou à certains agissements du mandant.

1)      La cession du mandat :

De droit reconnu à l’agent commercial de céder son mandat à un successeur est consacré par l’article L134-13-3 du Code de Commerce qui dispose que l’indemnité de cessation de mandat n’est pas due dans le cas où : « selon un accord avec le mandant, l’agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu’il détient en vertu du contrat d’agence ».

Dans cette hypothèse, la valeur patrimoniale du mandat est préservée. L’agent commercial a monnayé avec un tiers la valeur patrimoniale de son mandat et il est donc normal qu’il soit privé de l’indemnité de rupture.

2)      Les circonstances tenant l’agent :

  – La faute grave de l’agent :

Il s’agit d’agissements de l’agent contraires à l’intérêt commun du mandat et qui rendent immédiatement impossibles la poursuite de la collaboration entre les parties.

  – La démission :

Pour des raisons qui lui sont propres, l’agent commercial a décidé, sans équivoque, de cesser d’exécuter son mandat en renonçant à sa valeur patrimoniale.

Logiquement, son initiative de résilier la convention le prive de tout droit à indemnité.

  – L’âge, l’infirmité ou la maladie de l’agent :

Lorsque l’âge, l’infirmité ou la maladie du mandataire l’empêche de poursuivre normalement l’exécution de son mandat, l’agent commercial peut les invoquer pour résilier son mandat, sans que cette initiative ne le prive de l’indemnisation.

Cette règle ne concerne que les agents commerciaux exerçant en nom personnel et non ceux exerçant en société.

 3) L’inexécution de ses obligations par le mandant :

Le droit à indemnité de l’agent commercial est préservé lorsqu’il prend l’initiative de la cessation du contrat en raison de« …circonstances imputables au mandant », ce qui vise toutes les hypothèses où le mandant viole ses obligations ou ne met plus son mandataire en mesure d’exécuter le contrat.

Dans ce cas de figure, le mandant espère échapper au règlement de l’indemnité en ne prenant pas l’initiative de la rupture obligeant alors l’agent à la constater lui-même

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