L’INDEMNITÉ DE CESSATION DE MANDAT ET LA VENTE DE LA CARTE DE L’AGENT COMMERCIAL

La dernière des exceptions au droit à indemnité de cessation de mandat prévue par l’article L134-13-3 du Code de Commerce vise l’hypothèse où l’agent commercial a cédé sa carte à un successeur, avec l’agrément du mandant. Pendant longtemps, le droit reconnu à l’agent commercial de vendre ses « cartes » à un successeur a fait partie des usages professionnels. Il aura donc fallu attendre la loi du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants, codifiée par les articles L134-1 à L134-17 du Code de Commerce, pour que le législateur, fort discrètement, consacre l’existence de ce droit. En effet, il n’a pas fait l’objet de la rédaction d’un article spécial et se trouve simplement évoqué en tant que exception au droit à indemnité.

   §1 La nécessité de l’agrément :

En raison du caractère « intuitu personae » du mandat d’agence commerciale (conclu en raison de la personne), l’agent doit obligatoirement présenter le candidat à sa succession à l’agrément du mandant.

Si l’agent commercial passe outre l’obligation de solliciter l’agrément du mandant, la jurisprudence considère qu’il se rend coupable d’une faute grave emportant rupture du mandat cédé et privation d’indemnité de cessation de mandat. En effet, à défaut de respecter la formalité de l’agrément, l’agent commercial est jugé responsable de la cessation du mandat et privé des indemnités prévues par les articles L134-11 et L134-12 du Code de Commerce (CA Colmar 16 mai 2007 Tolplex/Johner, arrêt n° 404/2005 ; Aix-en-Provence 18 juin 1999 Granier/Waterhair Industries, arrêt n° 432).

On voit là toute l’utilité de réaliser par écrit la procédure de présentation du successeur et d’exiger du mandant un agrément écrit : compte tenu des enjeux ci-avant exposés, l’agent ne peut se satisfaire d’une simple autorisation verbale.

    §2 Les effets de l’agrément ou de son refus :

  – Si le mandant décide d’agréer le candidat en qualité de successeur, le mandat de l’agent commercial est alors

transmis. L’acquéreur se voit ainsi investi des droits et obligations dont était titulaire le cédant.

Il sera rappelé à ce sujet que l’opération ne peut avoir pour effet de modifier le mandat cédé. C’est la convention qui est vendue par l’agent à son successeur et le mandant ne peut donc monnayer l’agrément en exigeant des modifications du mandat (réduction de son objet, du territoire géographique, baisse du taux de commissions, etc.).

Dans l’hypothèse où le mandat est effectivement transmis par l’agent à son successeur, il perçoit ainsi le prix de cession, c’est-à-dire la valeur de la carte, qui est généralement fixée à l’équivalent de deux ans de commissions brutes. L’agent commercial a donc valorisé la patrimonialité de son contrat et il est donc normal qu’il soit privé de l’indemnité légale de cessation de mandat.

  – En revanche, si le mandant fait entrave à l’exécution du droit de présentation du successeur, il se rend coupable d’une rupture des relations contractuelles l’obligeant à verser à l’agent commercial l’indemnité légale de cessation de mandat.

Le mandant ne peut refuser discrétionnairement d’agréer le successeur proposé. Il doit justifier son refus par des motifs légitimes et sérieux qui doivent tenir  à  la  personne  de  son  successeur  et non à celle du cédant. Par exemple, le mandant n’est pas fondé à refuser son agrément en raison des prétendus mauvais résultats ou de la baisse du chiffre d’affaires enregistré par le cédant (CA Nîmes 12 avril 2012 Rochon/ Technisol, arrêt n° 197 ; Aix-en-Provence 8 mars 2007 Biesse/Reppco, arrêt n° 2007/131 ; 1er juillet 2005 Une fleur en plus/Reppco, arrêt n° 2005/392). Comme l’explique très justement la Cour de Cassation (Cass. Com. 12 juin 1967, JCP Ed Générale 1968, 15389), le refus d’agréer le successeur doit être justifié par « …une insuffisance réelle et prouvée, au point de vue professionnel ou moral, du successeur désigné ». Le mandant doit donc fonder sa décision sur les capacités professionnelles du successeur, les moyens de son agence commerciale, ses autres mandats de représentation, sa connaissance et sa pratique de la clientèle, son honorabilité, etc…

Si le refus d’agréer un successeur présenté n’est pas justifié par des raisons légitimes et sérieuses ou si le mandant s’oppose à toute cession en paralysant ainsi l’exercice de ce droit, il provoque alors la cessation du contrat et doit en indemniser l’agent commercial (Cass. Com. 1er février 2000, pourvoi n° 97-17701 ; 11 décembre 1990, pourvoi n° 89-19233 ; 17 février 1987, pourvoi n° 85-11952). Dans ce cas, la jurisprudence considère que la fin des relations contractuelles est à l’initiative du mandant qui est alors condamné à verser à l’agent commercial l’indemnité de cessation de mandat prévue par l’article L134-12 du Code de Commerce (Cass. Com. 9 décembre 2014, pourvoi n° 13-23309 ; 7 juillet 2009, pourvoi n° 08-16892).

Enfin, il doit être rappelé qu’en application de l’article L134-16 du Code de Commerce, ce droit est d’ordre public. Autrement dit, toute clause contractuelle qui y dérogerait au détriment de l’agent commercial serait réputée non-écrite par les tribunaux. Mais rien n’interdit aux parties d’organiser contractuellement l’exercice de ce droit. Il est ainsi possible de prévoir le nombre de candidat que l’agent pourra présenter et la durée dans laquelle le mandant devra prendre position.

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