LA DEFINITION DU POUVOIR DE NEGOCIATION DE L’AGENT COMMERCIAL

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L’arrêt qui vient d’être rendu par la CJCE le 4 juin 2020 vient de mettre à néant dix ans d’une jurisprudence excessivement restrictive de la Cour de Cassation sur la définition du pouvoir de négociation de l’agent commercial.

Ce pouvoir de négocier est un trait fondamental de l’agent commercial puisque l’article L134-1 du Code de Commerce dispose que « l’agent commercial est un mandataire qui… est chargé de façon permanente, de négocier et éventuellement conclure des contrats de vente, au nom et pour le compte de producteurs, industriels… ». C’est dans le cadre de litiges opposant des mandataires à des sociétés de téléphonie mobile que la Cour de Cassation, à partir de l’année 2008, a adopté une définition réductrice et erronée du pouvoir de négociation en estimant qu’il résultait exclusivement dans le pouvoir du mandataire de faire varier les tarifs ou les conditions de vente des produits ou des services qu’il était chargé de commercialiser pour le compte de son mandant (Cass. Com. 8 avril 2014, n° 12-22246 ; 27 octobre 2009, n° 08-2009 ; 20 mai 2008, n° 07-13488 ; 15 janvier 2008, n° 06-14698).

Cette définition du pouvoir de négocier avait été considérée comme exagérément restrictive car elle ne reflétait pas la réalité des usages et des pratiques professionnelles. En effet, il est très rare qu’un agent commercial puisse, de sa propre autorité, négocier les prix ou les conditions de ventes fixées par son mandant, ce qui aboutissait à priver injustement un grand nombre d’agents commerciaux du statut protecteur de la loi du 25 juin 1991 intégrée dans l’article L134 du Code de Commerce.

La mission première de l’agent commercial découlant du caractère d’intérêt commun de son mandat est la constitution en commun d’une part de marché dont l’exploitation profitera à l’agent et au mandant. La définition de la négociation devait donc englober tous les actes de l’agent commercial propres à la recherche et à la fidélisation de la clientèle et ne se réduisait donc pas à de simples discussions tarifaires avec les clients.

C’est bien ce qu’avait compris nombre de cours et tribunaux qui ont refusé d’appliquer la définition exagérément restrictive du pouvoir de négocier comme c’est le cas de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (5 septembre 2012 Vaissié/Lecico France, arrêt n° 2012/324 ; 27 novembre 2008 Thorel/Papeterie du Rhin, arrêt n° 2008/423 ; etc.).

La Cour de Cassation avait donc été amenée à définir plus largement la notion de négociation. C’est ainsi, par exemple, que dans un arrêt du 3 avril 2012 (n° 11-13527) elle avait considéré que la conduite par l’agent commercial de réunions de négociations de prix avec les clients et la proposition de vente de prestations dans le cadre d’un mandat suffisait à caractériser le statut d’agent commercial. Elle avait élargi encore cette définition en décidant que la négociation pouvait résider dans une « …marge de manœuvre sur une partie au moins de l’opération économique » (Cass. Com. 9 décembre 2014, n° 13-22476). La jurisprudence a ensuite oscillé entre adoucissement et durcissement, sans jamais véritablement abandonner l’exigence de variation de prix ou de modification des conditions de vente. Par un arrêt du 20 janvier 2015 (pourvoi n° 13-24231), la Cour de Cassation était revenue à une définition stricte et restrictive de la capacité de l’agent à faire varier le prix. Puis, par une décision du 15 mars 2017 (pourvoi n° 15-18434), la chambre commerciale de la Cour de Cassation a semblé revenir à une définition plus large du pouvoir de négociation qui englobait tous les actes préparatoires à la réalisation de vente, à savoir : organisation d’entretiens avec les acheteurs, propositions d’implantations dans les magasins, visites des magasins, formulation d’offres commerciales, propositions de catalogues, de délais de livraison, de volumes et de prix. Puis par un arrêt du 19 juin 2019 (pourvoi n° 18-11727), la Cour avait clairement réaffirmé l’exigence d’un pouvoir de négociation des contrats et des prix.

C’est le Tribunal de Commerce de Paris qui a mis fin à cette jurisprudence en saisissant la Cour de Justice d’une question préjudicielle aboutissant à l’arrêt du 4 juin 2020 qui, sans la moindre ambigüité, décide qu’ « …une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial ».

En application du principe de hiérarchie des normes cette décision va donc s’imposer immédiatement aux juridictions françaises qui devront rechercher, si le pouvoir de négociation de l’agent commercial est contesté, les actes qu’il aura accomplis propres « …à la recherche et à la fidélisation de la clientèle » (Encyclopédie Juridique de l’Agent Commercial, Paul JOLY, Ed Juris-Agence, page 30).

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